La présence nue
Il y a une belle scène dans le film "Quai des brumes", écrite par Jacques Prévert. Dans un bistrot perdu au fond de la nuit, apparait un peintre. Les habitués engagent la conversation, et lui demandent: "Que peignez-vous ?". Il répond: "Je peins les choses qui sont derrière les choses".
Cette phrase me revient face à ces tableaux. D´abord, ces portraits. L´arrière plan: une variation de bleus avec des fins accents de brun, la pureté et l´infini teintés du réalisme de la terre. Notre soif d´absolu confrontés à nos limites et celles du monde - le cadre. Les personnages: que reste-t-il d´une personne une fois tombés les masques du visage et des habits ? La présence nue, l´etre derrière le paraitre. Et malgré cette réduction radicale, chacun a bien sa propre personnalité, son humeur, sa légèreté, son poids, son moment, son existence unique.
Dans une seconde série, les moyens sont encore plus limités: une seule couleur, généralement un vert de phtalo ou un bleu de cobalt, est appliquée avec un très petit pinceau et joue avec le blanc de la toile. Ajouter de la peinture, l´enlever un peu plus loin, et cela des milliers de fois: tous ces gestes miniatures font onduler la surface monochrome du tableau, et le placent tout à coup dans une zone incertaine entre présentation (de la peinture) et représentation. Ni fenetres, ni murs, ces espaces sont intérieurs. Comme des songes qui révèleraient la réalité cachée du monde, ses courants intimes, et donc les notres.
Un troisième groupe de tableaux est peut-etre paisiblement irritant. Ils radient tous le meme bleu céruléen, qui exprime à mes yeux à la fois idéalité et réalité. La couleur est étalée avec une brosse épaisse, d´une manière brute. Mais pas d´"action painting" au final: la bataille a laissé des traces sur les bords mais a créé des surfaces pacifiées et apaisantes. Une tentative de réconcilier action et méditation, de résoudre peut-etre quelques contradictions de la peinture.
C.G. 2005 |